Différenciation selon le genre : engagement et problématisation dans un contexte d’expériences de laboratoire ouvertes en physique Simon Langlois et Rodolphe Toussaint Laboratoire LERTIE et Collège Shawinigan UQTR, Trois-Rivières Introduction Les expériences de laboratoire ouvertes dans le domaine de la physique peuvent être conçues à partir de situations-problèmes (Langlois & Toussaint, 2007). Ceci implique que dans ce contexte, un espace de problématisation devient envisageable comme stratégie pédagogique. L’étudiant aura alors à inférer et à référer pendant l’expérience de laboratoire afin de résoudre la problématique qui est la sienne (Langlois, 2008). Nous pensons que l’engagement de l’étudiant aura un impact sur son processus de problématisation. Pour bien établir le rapport entre ces deux concepts, les déterminants de l’engagement seront tout d’abord présentés dans le cadre des expériences de laboratoire ouvertes, suivi par une explicitation des manifestations de l’engagement. Une attention particulière sera portée à l’engagement cognitif (Corno et Mandinach, 1983; Fredericks 2004), ce qui permettra d’ouvrir la discussion sur la problématisation et son lien avec le genre de l’étudiant Remerciements Nous voulons remercier Monsieur Guy Corriveau, conseiller pédagogique au Collège Shawinigan, pour sa contribution aux idées présentes dans ce texte. Cet article a été rendu possible grâce à l’aide financière octroyée par les programmes gouvernementaux d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage (PAREA) et du fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FQRNT). Les expériences de laboratoire ouvertes Les laboratoires ouverts laissent l’étudiant beaucoup plus libre dans son apprentissage d’une démarche scientifique. Par exemple, il doit lui-même établir un protocole d’action, et bien que différents thèmes aient été choisis par l’enseignant, on ne lui fixe pas une voie unique à suivre (Morin, 1997). L’étudiant est amené à se poser des questions et à y trouver ses propres réponses en effectuant les manipulations qu’il juge adéquates pour y arriver, tout ceci guidé par l’enseignant. Ce type de laboratoire place donc l’étudiant au centre de son apprentissage, ce qui assure que le laboratoire aura un sens propre pour lui, tout en développement sa créativité et son autonomie. Voici un résumé des principales étapes de cette approche, qui ont été mises en place à l’automne 2005 dans un cours de physique intitulé : « Ondes, optique et physique moderne » auprès d’étudiants collégiaux (17-18 ans). 1) Mise en situation : Permet aux étudiants de situer le cadre du laboratoire. Il peut s’agir d’une démonstration par l’enseignant, de lectures suggérées ou de situations de références1. 2) Réflexion et débat sur la mise en situation : Discussions et réflexion à l’aide de différentes ressources sur la mise en situation afin de construire et discerner ce qui est compris ou non. 3) Élaboration d’une problématique : Déterminer des questions claires auxquelles trouver réponse pendant le laboratoire. 4) Manipulations : Exécution de l’expérience prévue. 5) Résultats préliminaires : Mise sous forme de tableaux, résumé de l’expérience. 6) Présentation des résultats : Confrontation des résultats aux membres du groupe de travail (4-6 étudiants). Dans la mise en situation, les étudiants peuvent choisir parmi différentes possibilités d’études selon leurs préoccupations et le problème qui les touche particulièrement. Ceci explique le 1 Un exemple de situations de références est placé en annexe du présent document terme « ouvert », en ce sens que plusieurs voies peuvent être empruntées par les étudiants dans leur acquisition du savoir scientifique. À partir de la mise en situation, les étudiants devront lire, discuter et débattre de leur problème en équipe afin de bien cerner ce sur quoi ils veulent porter leur attention dans l’expérience, afin de comprendre ce qu’ils ne saisissent pas. Une fois que la question principale aura été déterminée et que la problématique aura été établie, la phase des manipulations s’enclenche. Elle ne se constitue pas simplement de procédures à exécuter. Au fil de l’expérimentation, les étudiants peuvent modifier leur cheminement en fonction des observations et résultats obtenus. L’objectif étant de refléter le plus justement possible la nature de l’expérimentation scientifique. Pour qu’une situation-problème produise une problématisation, elle doit, selon Dewey (Fabre, 2003), suivre un processus comportant minimalement trois étapes : la position, la construction et la résolution du problème. Dans le cadre de laboratoires ouverts, il est possible d’associer chacune des réalisations du laboratoire à celles de la problématisation. Ainsi, la position du problème se fait au cours de la mise en situation, la construction du problème s’effectue dans la réflexion et le débat entre les collègues et l’élaboration de la solution prend place dans les manipulations et l’analyse des résultats. Voici un premier résumé de la situation : Position Mise en situation (Étape 1) Construction Réflexion et débat (Étape 2) Élaboration de solutions Manipulations, analyse des résultats (Étape 4,5) Figure 3 : Étapes de problématisation et laboratoires ouverts On peut donc conclure, à la lumière de ce schéma qu’un laboratoire comportant une situation- problème peut être un lieu de problématisation. Il convient maintenant de parler des deux étapes des laboratoires ouverts qui ne sont pas présents dans la description de la précédente figure, soit l’étape 3 de l’élaboration de la problématique et l’étape 6 de la diffusion des résultats. L’étape 6 permet la critique des pairs, ce qui amène une validation externe du processus de problématisation effectué durant le laboratoire. Il s’agit donc d’un critère de scientificité supplémentaire. L’étape 3, celle de la problématique, fait suite à un débat et à une réflexion d’équipe; un éclaircissement expérimental s’avère nécessaire à ce moment pour la suite du débat. On peut ainsi définir la problématique comme un moment particulier de la problématisation nécessitant l’utilisation de données expérimentales comme moyen pour progresser. C’est à partir de cette problématique que pourront être amenées les solutions de la situation- problème. LIENS AVEC LES DÉTERMINANTS DE L’ENGAGEMENT Déterminants de l’engagement Dans une situation de problématisation comme dans plusieurs autres scénarios pédagogiques, l’étudiant est confronté à des déterminants situationnels. Parmi ceux-ci, mentionnons la tâche proposée, le domaine d’étude, la relation qui se développe entre l’étudiant et ses pairs ainsi que celle qu’il développe avec l’enseignant. Ces déterminants situationnels ont un impact direct sur la motivation (Connell & Wellborn, 1991). Entre autres, la motivation intrinsèque est affectée par l’intérêt de l’étudiant envers la tâche proposée et la discipline, tandis que la motivation extrinsèque dépend entre autres du type d’évaluation et des objectifs poursuivis par l’étudiant dans son apprentissage (Barbeau, 1993; Young 2005). Ainsi, lorsqu’un étudiant exprime que la tâche proposée par l’enseignant est intéressante, il indique qu’elle a eu un impact positif sur sa motivation intrinsèque. De la même façon, un étudiant qui affirme étudier étant donné que l’examen est sommatif possède une motivation extrinsèque à réaliser la tâche. Les déterminants situationnels influencent également le sentiment de compétence de l’étudiant. Par exemple, si l’expérience de laboratoire demande des connaissances élevées ou qu’elle exige des habiletés dont l’étudiant ne dispose pas, son sentiment de compétence sera affecté négativement. À l’opposé, si la situation-problème permet à l’étudiant d’utiliser des connaissances antérieures dont il dispose ou des habiletés expérimentales déjà acquises, son sentiment de compétence pourra augmenter. Comme tout modèle dynamique, ces résultantes des déterminants situationnels ne sont pas indépendantes les unes des autres. Le sentiment de compétence peut agir de manière bénéfique sur la motivation intrinsèque. De même, la motivation extrinsèque peut amener un sentiment de compétence, comme en fait foi un étudiant qui n’aime pas la physique, mais qui obtient de bons résultats et finit par se sentir compétent dans cette discipline. La motivation intrinsèque, extrinsèque et le sentiment de compétence prédisposent l’étudiant à s’engager ou non dans la tâche. L’engagement, comme le synthétise la Figure 1, découle indirectement des déterminants situationnels. Figure 1 Déterminants de l’engagement en classe Autrement dit, lorsque l’on place un étudiant dans un environnement scolaire donné, avec une tâche à accomplir dans une discipline et un programme précis, il s’engage selon les déterminants qui viennent d’être présentés. Bien que le modèle présenté ci-dessus semble linéaire, il va de soi qu’il s’applique uniquement pour une tâche précise à un instant précis. On sait que la motivation et le sentiment de compétence peuvent varier rapidement au cours d’une expérimentation. Si une partie de l’expérience intéresse davantage l’étudiant, celui-ci pourra devenir ponctuellement engagé. De même, un étudiant qui possède généralement un bon sentiment de compétence peut provisoirement perdre confiance en ses moyens devant une difficulté qu’il ne sait surmonter et décider de se désengager. Manifestations de l’engagement pendant une expérience de laboratoire en physique Une fois que la tâche a été présentée à l’étudiant et que celui-ci décide de s’y engager, les manifestations de l’engagement deviennent observables. Elles peuvent être d’ordres affectives, comportementales ou cognitives, comme l’indique la Figure 2. Figure 2 Formes d’engagement en classe L’engagement affectif est intimement lié à la partie observable de la motivation intrinsèque. Il constitue les manifestations qui montrent que l’étudiant éprouve de l’intérêt pour la tâche et la discipline. Pris à la négative, il s’observe par l’angoisse et l’anxiété (Fredericks, 2004). Il est possible d’observer un engagement affectif sans qu’il y ait nécessairement engagement cognitif. Imaginons un cas où un étudiant s’amuse à faire tourner un aimant qui devrait plutôt servir à brasser une solution chimique. Bien que le fait de voir pivoter l’aimant puisse animer affectivement l’engagement de l’étudiant, son comportemental est inadéquat, car il n’exécute pas la tâche demandée. Il ne peut donc être cognitivement engagé à résoudre le problème du mélange chimique. L’engagement comportemental s’observe principalement au travers de la participation de l’étudiant, qu’elle soit autonome ou coopérative (Ladd & coll. 1999; Buhs & coll., 2001; Buhs & coll. 2006). La participation coopérative relève des interactions de l’étudiant avec l’environnement social de la classe et du respect des règles de vie instaurées. On peut y inclure la quantité de questions posées à tout individu, que ce soit à l’enseignant, au technicien de laboratoire, au coéquipier ou à d’autres équipes environnantes. Toutes les discussions à propos de la tâche entrent dans cette catégorie. De manière complémentaire, la participation autonome, elle, réfère au travail que l’étudiant accomplit en lien direct avec la tâche ou le matériel mis à sa disposition (protocole, instruments de mesure, livres, etc.). On parle d’engagement comportemental positif lorsque l’étudiant pose des questions, lit le protocole, manipule le montage, discute avec son coéquipier, prend des notes ou écoute l’enseignant. Il devient négatif lorsque l’étudiant dérange les autres équipes, est dissipé ou ne fait pas attention au montage expérimental. La troisième forme d’engagement, cognitive, dépend des deux autres. Si l’étudiant ne s’engage pas d’un point de vue comportemental et affectif, le niveau cognitif ne peut être présent. Comment un étudiant qui ne participe pas à l’activité peut-il espérer être engagé cognitivement? L’engagement comportemental et affectif constituent donc des conditions nécessaires à un engagement cognitif. Comme le volet cognitif de l’engagement représente la forme d’engagement la plus importante pour amener une problématisation, il est nécessaire d’y porter une attention particulière. Dynamique de l’engagement cognitif Nous définissons l’engagement cognitif comme le traitement de l’information que doit réaliser un étudiant à partir de ses références internes pour compléter une tâche spécifique. Les références internes doivent être mises en relation avec les données reçues du montage expérimental ou avec des références théoriques obtenues auprès de différentes sources. Cette interaction entre référence interne, référence externe et action dans la tâche est illustrée à l’aide de la Figure 3. Figure 3 Dynamique de l’engagement cognitif Décrivons cette figure attentivement. Le premier encadré dans le haut s’intitule références internes et traitement de l’information. Il représente les connaissances antérieures de l’étudiant, qu’elles soient théoriques ou pratiques. C’est à partir de ces références internes et du traitement de l’information que l’étudiant problématise. Ainsi, peu importe la stratégie pédagogique mise en place, ce pôle de l’engagement cognitif doit être sollicité au maximum pendant la tâche pour assurer des apprentissages. Le terme référence externe dans l’encadré de gauche s’utilise à deux fins. Il décrit tout d’abord la situation dans laquelle l’étudiant demande assistance à une référence externe, mais surtout, il veut identifier les raisonnements externes à l’étudiant qui agissent comme référence dans son processus de problématisation, au sens de Fabre (2003). Parmi les références externes, mentionnons l’enseignant, le technicien, le coéquipier, un membre d’une autre équipe, un livre et le protocole de laboratoire. Le pôle de l’action ou de la tâche expérimentale, à droite dans la Figure, peut autant représenter un projet ou un laboratoire, en autant qu’il comporte une partie expérimentale. Il signifie qu’il y a collecte de donnée de la part de l’étudiant pour construire l’espace des possibles, tel que défini par Orange (2001). Cette dynamique de l’engagement cognitif ne peut prendre place que si l’étudiant est attentif et participe à l’activité proposée. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’étudiant est passif et désengagé cognitivement. Si elles le sont, l’étudiant peut s’engager cognitivement de plusieurs façons et à des niveaux différents. Modes d’engagement cognitif Si l’on prend le mode 1 de la Figure 3, l’étudiant n’est pas engagé cognitivement. Lorsque l’on se déplace de gauche à droite, l’enseignant, le technicien ou le coéquipier viennent faire une action sur le montage expérimental sans que l’étudiant comprenne ce qui a été fait. De droite à gauche, le montage expérimental donne une information à l’étudiant, qui ne sait quoi en faire et demande immédiatement assistance à l’enseignant. Dans les deux cas, il ne fait aucun traitement de l’information et n’énonce aucune référence interne. Son engagement cognitif est donc très faible, voire inexistant. Corno et Mandinach (1983) décrivent cet état comme celui d’un engagement cognitif passif. Dans le mode 2, l’étudiant utilise une référence externe pour agir dans la tâche. Sans chercher à comprendre en profondeur, il peut à tout le moins inférer une action à accomplir sur le montage expérimental. Ce mode de fonctionnement démontre un niveau d’engagement cognitif minimal, où l’étudiant agit comme un récipient (Corno et Mandinach, 1983). Un engagement comportemental quasi béhavioriste peut décrire ce type d’engagement cognitif, alors que l’étudiant doit agir correctement suite à une instruction donnée. Le mode 3, soit celui de l’engagement cognitif coopératif, se définit par un dialogue soutenu entre les références internes et externes. L’échange se produit au niveau conceptuel seulement et le montage expérimental n’est pas impliqué dans l’échange et la construction conceptuelle élaborée. Questionnements et raisonnements sont effectués par l’étudiant, qui traite continuellement l’information reçue. Les débats en classe suivent principalement ce mode de construction du savoir. Entrent autant dans cette catégorie les discussions dans l’équipe que celles avec l’enseignant. Ce mode est associé à la participation coopérative dans l’engagement comportemental. Dans le mode 4, la construction du problème se produit entre les références internes de l’étudiant et le montage expérimental. Ce mode permet de construire un modèle par l’intermédiaire des renseignements fournis par le réel, c’est-à-dire des résultats expérimentaux. L’étudiant qui utilise ce mode d’engagement infère et déduit fréquemment en fonction des informations obtenues lors de la collecte de données. Les références internes permettent de poser un regard critique sur les données recueillies. Ce mode d’engagement est associé à la participation autonome. Corno et Mandinach (1983) le nomment engagement cognitif centré sur la tâche. L’étudiant qui montre le plus haut niveau d’engagement cognitif est celui qui est en mesure de s’autoréguler. Dépendamment des informations qu’il veut traiter et des questionnements qui l’habitent, il peut soit opter pour une interaction avec le montage pour aller cueillir la référence expérimentale voulue, ou si cela est pertinent, il discute avec son coéquipier ou avec l’enseignant pour progresser dans sa compréhension des phénomènes et dans la construction du problème. Engagement cognitif et problématisation L’insertion du modèle de l’engagement et particulièrement la partie qui porte sur l’engagement cognitif permet d’apporter à la compréhension de la notion de problématisation. Le point principal de cette section s’articule autour d’une argumentation qui montre la compatibilité entre la notion d’engagement cognitif et le processus de problématisation. Il sera également discuté que l’engagement cognitif permet d’étudier les parcours individuels de problématisation de chaque étudiant. Pour illustrer ces bienfaits, la Figure 4 ci-dessous rapporte une situation de problématisation classique vécue pendant une expérience de laboratoire sur le pendule simple. Figure 4 Mode d’engagement cognitif et problématisation L’objectif de cette expérience de laboratoire consiste à comprendre ce qu’est un pendule simple. Les bulles foncées proviennent d’un étudiant 1 sur lequel nous centrons la problématisation, tandis que les pâles proviennent d’autres intervenants. Autrement dit, les bulles bleues sont des références internes, tandis que les pâles sont des références externes. L’axe de problématisation sépare le registre empirique de celui des modèles, ce qui revient à dire dans le triangle de l’engagement cognitif qu’il sépare les références de l’action, comme le montre la Figure 5 ci-dessous. Figure 5 Engagement cognitif et modèle de problématisation Références internes Références externes Axe de problématisation Action On voit bien la jonction et la compatibilité entre le modèle de l’engagement cognitif et celui de la problématisation. Si l’on continue à décrire la Figure 4, on voit que lors de la position du problème, l’étudiant introduit le concept de gravité pour expliquer le mouvement du pendule (référence interne). La discussion continue et son coéquipier trouve dans un livre les conditions nécessaires pour obtenir un mouvement harmonique simple (référence externe). Il insiste également sur la présence de l’air et de la force de frottement produite sur le pendule. Avec ces informations, l’étudiant 1 infère un raisonnement déductif à partir des références externes et internes énoncées. Il hypothétise que le pendule ne peut être un mouvement harmonique simple, positionnant le problème à résoudre. Cette position du problème a été trouvée à l’aide d’un engagement cognitif coopératif, par un échange entre les références internes et externes (mode 3). Après avoir effectué certaines manipulations, l’étudiant 1 infère à partir des résultats expérimentaux que le discriminant pour que les conditions du mouvement harmonique simple soient respectées est un angle initial inférieur à 30°. C’est par une action dans le registre empirique que s’est réalisée la construction du problème. Ce mode représente bien celui d’un engagement centré sur la tâche (mode 4). La solution du problème de cette problématisation est en pâle et circulaire. L’enseignant vient à leur table pour tirer à leur place la conclusion sur leur hypothèse initiale. Dans ce cas, ils sont en situation d’engagement cognitif récipient (mode 2). Le seul cas qui n’a pas été présenté est celui de l’engagement cognitif passif (mode 1). Dans ce mode, l’engagement cognitif est tout simplement absent, ce qui amène comme conséquence d’empêcher la progression de la problématisation. La carte conceptuelle de l’étudiant reste donc vierge. L’introduction de l’engagement pour comprendre les parcours individuels pendant l’expérience de laboratoire devient un outil pédagogique important. Dans le dernier cas, on ne saurait accorder une bonne évaluation à l’étudiant passif, même si la problématisation de l’équipe s’est avérée fructueuse. C’est cette nuance qui est pour nous importante. Jusqu’à présent, dans le modèle de problématisation, il semble difficile de connaître le parcours de chaque étudiant, sauf par évaluation ultérieure des acquis. Maintenant qu’il est possible de comprendre des parcours propres, il devient envisageable de décrire les processus et comportements individuels pendant la problématisation. Collecte de données sur les parcours de problématisation Pour arriver à décrire ces parcours, des observations ont été menées pendant quatre expériences de laboratoire ouvertes, pour un total de 16 heures passées en classe auprès de 70 étudiants. Les étudiants ont été divisés en catégories forts et faibles suivant leurs résultats scolaires. Un étudiant est considéré comme fort s’il a plus de 80% de moyenne générale et faible s’il a 70% et moins. Une deuxième division s’est faite selon le genre masculin ou féminin. C’est cette dernière qui a été étudiée plus en profondeur. Problématisation et engagement selon le genre La plus grande variante entre les deux genres pour une expérience de laboratoire en physique s’observe au niveau de la position du problème. La structuration première du domaine des possibles ne se réalise pas selon la même approche. Règle générale, un garçon veut utiliser rapidement le matériel à sa disposition. Avant toute chose, il a tendance à répertorier le matériel et tente de comprendre son fonctionnement. Il veut aller dans l’action et décortique le matériel, ses composantes et leur fonctionnement. Une fille a plutôt tendance à se référer à des références externes certaines. Dans le cas d’une expérience de laboratoire, ceci veut dire lire complètement le protocole, s’assurer de bien comprendre les concepts et les tâches à accomplir. La notion de certitude est essentielle, contrairement à un garçon, qui procède davantage par essais et erreurs. Elle accomplit généralement l’expérience de laboratoire de manière organisée et séquentielle. Dans la construction du problème, elle a également tendance à demander l’approbation par une autorité qui agit comme référence externe. Ainsi, lorsqu’elle déduit une action à accomplir, ou qu’elle obtient des données du montage, une fille demande fréquemment une validation par les pairs ou par l’enseignant en physique. Ceci se traduit par un nombre de questions posées à l’enseignant significativement plus élevé que chez un garçon pendant une expérience de laboratoire de deux heures, soit 16,8 en moyenne pour une fille contre 9,9 pour un garçon. La problématisation d’une fille se fait principalement selon un engagement comportemental et cognitif coopératif, ce qui lui permet de répondre aux critères d’évaluation et de performance exigée par l’enseignant. Un garçon a plutôt tendance à raisonner à partir de l’expérience. Son engagement cognitif est centré sur la tâche, d’où sa participation plutôt autonome que coopérative (Ladd & coll. 1999; Buhs & coll., 2001; Buhs & coll. 2006). Au laboratoire, ceci se traduit par moins de questions et plus d’indépendance dans l’apprentissage. En physique du moins, il n’est pas rare de voir un garçon établir des problématiques sortant du cadre du cours, alors qu’une fille a plutôt tendance à rester dans les questions et normes établies par le protocole ou l’enseignant. Dans le cas d’un garçon identifié comme fort, le mode d’engagement centré sur la tâche lui assure de bien comprendre et construire sa problématisation. Cette catégorie d’étudiant semble la plus à l’aise en laboratoire et la plus engagée, autant du point de vue affectif, comportemental que cognitif. Par contre, pour un garçon faible, comme son mode d’engagement comportemental s’exprime lui aussi en participation autonome, il ose moins poser des questions pour avancer, peut-être par crainte d’être jugée. On sait que le regard d’autrui sur la compétence d’un garçon est important pour celui-ci (Rivière, 2002). Peu importe la raison, il reste qu’un garçon faible, lorsqu’il est en rupture épistémologique, n’a pas les ressources nécessaires et le mode d’engagement approprié pour se sortir d’une impasse pendant la problématisation. Lorsqu’une fille est considérée comme forte, son engagement comportemental coopératif est élevé. Le processus de validation ressort par rapport aux autres catégories d’étudiants et est omniprésent, d’où leur nombre imposant de questions. Une fille qui entre dans la catégorie faible pose elle aussi beaucoup de questions, à la différence près que l’engagement cognitif se situe davantage au niveau récipient, car elle ne réussit pas à intégrer les références externes proposées par le protocole, l’enseignant ou les pairs. Bref, elle ne réussit pas à passer dans un mode 3 d’engagement cognitif, soit celui d’un aller-retour entre les références internes et externes. L’objectif dans la problématisation comme dans tout apprentissage en laboratoire est selon nous de former un étudiant qui est en mesure d’utiliser autant l’expérimentation (registre empirique) que la théorie (registre des modèles) pour progresser dans sa construction du problème. Cet étudiant, autorégulé, à plus de chances de franchir les obstacles épistémologiques qu’il rencontre. Ce commentaire est vrai jusque dans la formation des équipes de laboratoire et des rôles de chacun dans l’équipe. Lorsque l’équipe est composée de deux filles, il y a généralement plus de questions posées et l’une d’entre elles doit se « sacrifier » pour effectuer les manipulations. Il ne faut pas oublier que la discipline dans laquelle s’est effectuée la collecte de données est en physique et que l’intérêt des filles pour les expériences de laboratoires est significativement moins élevé que chez les garçons dans ce domaine. Les étudiants devaient établir leur degré d’accord ou de désaccord avec cet énoncé lors d’un questionnaire suivant cette échelle. 1 : Tout à fait en 2 : Plutôt en 3 : Plus ou 4 : Plutôt en 5 : Tout à fait en désaccord désaccord moins en accord accord accord La valeur médiane étant de 3, tout énoncé obtenant une moyenne inférieure à 3 reçoit donc une appréciation défavorable de la part des étudiants. Les résultats donnent un score moyen d’intérêt pour la physique de 3,10 pour les filles et 3,83 pour les garçons. Lorsque l’équipe est mixte, le garçon se retrouve dans la très grande majorité des cas en manipulations et la fille lit le protocole et consigne les informations. Lorsque deux garçons font équipe, ils s’écartent du protocole et préfèrent travailler dans la tâche expérimentale. Peu importe le genre des membres d’une équipe, celles qui sont les plus performantes du point de vue des apprentissages et des résultats académiques ont généralement ces caractéristiques : soit un des étudiants possède un engagement centré sur la tâche et l’autre un engagement coopératif, ou mieux encore, l’un des deux coéquipiers ou les deux peuvent jouer les deux rôles. Autrement dit, nous sommes en présence d’étudiants qui s’autorégulent plus facilement, d’où leur facilité en laboratoire. Comme il a été mentionné à quelques reprises, ces points de repère sont vérifiés pour une majorité d’étudiants. Il arrive toutefois d’observer un garçon qui possède une partie ou la majorité des comportements que nous avons décrits comme étant associés à ceux une fille et inversement. Le point de cette discussion est non pas de stéréotyper les genres, mais plutôt de montrer qu’il existe des parcours de problématisation propre à chaque étudiant. Ces différences dans le processus de problématisation ont été observées autant dans la position que la construction du problème Conclusion Le modèle proposé sur l’engagement permet d’expliquer la progression de l’étudiant dans la problématisation au regard du type d’engagement cognitif qu’il manifeste, dépendamment s’il est passif, récipient, coopératif, centré sur la tâche ou autorégulé. Ainsi, certains étudiants vont préférer problématiser suivant un mode inductif, en interaction constante avec le montage. À l’inverse, d’autres préféreront se fier sur des références externes et un cadre conceptuel plus élaboré. Ceci met le jour sur une facette encore peu explorée du concept de problématisation; soit que le mode d’engagement de l’étudiant a un impact sur son processus de problématisation. Une discussion pédagogique du type de problématisation désirée est également à entrevoir. Ainsi, serait-il bénéfique d’orienter les problématisations vers un type d’engagement particulier ? Prenons un exemple classique ou un bureau de travail acheté chez une grande chaîne doit être assemblé par un couple. Règle générale, le garçon veut regarder toutes les pièces à sa disposition et a besoin de se représenter le meuble de manière globale. À l’inverse, la fille lit le manuel d’instruction pour s’assurer que toutes les pièces sont présentes et pour compléter les étapes les unes après les autres, pour ne pas rencontrer d’obstacles majeurs. Laquelle des façons de faire est la meilleure ? À notre avis, du point de vue éducationnel, il faut respecter le mode premier de problématisation de chaque étudiant tout en leur proposant des activités qui leur permettent de développer les autres modes. Peu importe l’orientation prise, il appert que la motivation et le sentiment de compétence de l’étudiant face à la problématisation constituent des points essentiels à prendre en compte par l’enseignant afin de proposer une tâche qui favorise l’engagement de l’étudiant dans une problématisation optimale du point de vue de l’apprentissage. Références Barbeau, D., Montiny, A., et Roy, C. (1997). Tracer les chemins de la connaissance. La motivation scolaire. Association Québécoise de Pédagogie Collégiale, Montréal, 1997. Buhs E.S. et Ladd, G.W. (2001). Peer rejection as an antecedent of young children’s school adjustment : an examination of mediating processes. Developmental Psychology, 37(4), 550-560. Buhs, E.S., Ladd, G.W. et Herald, S.L. (2006). Peer exclusion and victimization: processes that mediate the relation between peer group rejection and children’s classroom engagement and achievement? Journal of Educational Psychology, 98(1), 1-13. Connell, J.P. et Wellborn, J.G. (1991). Competence, autonomy, and relatedness: A motivational analysis of self-system processes, dans M.R. Gunnar et L. A. Sroufe (dir.), Self processes and development, The Minnesota Symposia on Child Development (vol. 23 43-77). Chicago: University of Chicago Press. Corno, L. et Mandinach, E.B. (1983). The Role of Cognitive Engagement in Classroom Learning and Motivation. Education Psychologist, (18)2, 88-108. Fabre, M. (2003). Qu’est-ce que problématiser? L’apport de John Dewey, colloque REF, Symposium Situations de formation et problématisation, Genève, 18 et 19 Septembre 2003. Fredericks, J., Blumenfeld, P.C., Paris, A.H. (2004). Review of Educational Research, 74(1), 59-109. Ladd, G.W., Birch, S.H. et Buhs, E.S. (1999). Children’s social and scholastic lives in kindergarten: Related spheres of influence? Child Development, 70(6), 1373-1400. Lamy, D. (2005). La carte conceptuelle comme outil intellectuel dans une stratégie de résolution de problème, Symposium de Chicoutimi, Mai 2005. Langlois, S. (2008). Raisonnement scientifique et changement conceptuel réalisés par des étudiants collégiaux dans un contexte d’expériences de laboratoire ouvertes. Mémoire de maîtrise, UQTR. Langlois, S. et Toussaint, R. (2006). Apprentissage scientifique et problématisation : exploration du cas des laboratoires scientifiques ouverts dans une classe de physique au Cégep. Symposium de Nantes, Juin 2006. Rivière, B.(2002). Les jeunes et les représentations sociales de la réussite. Les éditions logiques, Québécor média. Ryan, A.M, Patrick, H. & Shim. S.-O. (2005). Differential Profiles of Students Identified by Their Teacher as Having Avoidant, Appropriate, or Dependant Help-Seeking Tendencies in the Classroom. Journal of Educational Psychology, vol.97(2), pp.275-285. Orange, C. (2001). Séminaire de didactique des disciplines technologiques, Problème(s) et technologie; Éclairage pluriels. Cachan, 2000-2001. INRP. Young, M.R. (2005). The Motivational Effects of The Classroom Emvironment in Facilitating Self-Regulated Learning. Journal of Marketing Educations, 27, 25-40.